« Le commerce, c’est le développement »1 affirme la Commission européenne à propos des Accords de partenariat économique (APE).
Mais l’APE négocié entre l’Afrique de l’Ouest (AO) et l’Union européenne (UE), qui met en relation une des régions les plus riches de la planète avec une des plus pauvres, est-il vraiment cohérent avec le développement de l’AO ? C’est à cette question que ce document cherchera à répondre, en mettant l’accent sur l’agriculture, un secteur clé pour l’AO.
Les APE : de quoi s’agit-il ?
Jusqu’en 2000, dans le cadre des Conventions de Lomé avec les pays d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique (ACP), l’UE accordait aux exportations d’AO un accès presque totalement libre au marché européen, pour contribuer à son développement grâce au commerce. De leur côté, les Etats d’AO n’avaient aucune obligation d’offrir ces mêmes avantages à l’UE.
Mais ces préférences commerciales unilatérales sont contraires aux règles de l’OMC adoptée en 1994. L’OMC prévoit, en effet, la possibilité de créer des zones de libreéchange, par exemple entre l’UE et l’AO, ce qui implique que les préférences deviendraient réciproques et que l’AO devrait offrir un traitement préférentiel à l’UE. Cependant, pour maintenir des préférences unilatérales, l’UE aurait pu demander une dérogation à l’OMC, comme elle l’a fait pour la Moldavie car, explique-t-elle : « la Moldavie est le pays le plus pauvre du continent européen (…) et n’a pas la compétitivité nécessaire pour prendre des engagements de réciprocité dans un accord de libreéchange avec l’UE »
2. L’UE refusera d’accorder ce traitement à l’AO.
Cette décision de l’UE explique le contenu de l’accord de Cotonou, qui a succédé à celui de Lomé en 2000 et prévoit les négociations d’APE. Initialement, elles devaient
conduire, avant le 31/12/2007, à la création de zones de libre-échange entre l’UE et 6 régions ACP, dont l’AO. En application du principe de réciprocité, l’UE demandait à l’AO d’ouvrir son marché aux produits européens à 80 % sur une période de 15 ans, en échange d’une ouverture du marché européen à 100 % aux produits de l’AO.
Mais les règles de l’OMC dans ce domaine permettent des interprétations tenant mieux compte des énormes différences de développement entre les partenaires. L’UE aurait pu accepter l’ouverture à 60 % sur 25 ans3, proposée par les pays de l’AO. Elle ne l’a pas fait. Par ailleurs, durant les négociations, l’UE est allée bien au-delà des règles de l’OMC en matière de libéralisation, en ajoutant aux marchandises, des secteurs tels que les services, les investissements et les marchés publics. L’AO s’est opposée à cela. Elle souhaite conserver sa liberté de protéger ces secteurs de la concurrence de l’UE. En outre, 12 des 16 Etats de l’AO4 appartenant au groupe des Pays les moins avancés (PMA), ils n’ont aucun intérêt à conclure un APE5. Comme il s’agit des pays les plus pauvres de la planète, l’UE leur accorde des préférences commerciales unilatérales dans le cadre du régime « Tout sauf les armes », qui leur offrent un libre accès au marché de l’UE, sans les obliger à libéraliser leurs marchés vis-àvis des importations européennes.
Cela explique pourquoi, fin 2007, l’UE n’a pas obtenu d’APE régional, mais seulement le paraphe d’APE intérimaires6 limités au commerce des marchandises, avec deux pays non PMA : la Côte d’Ivoire et le Ghana.
Ces APE ont été paraphés suite à de fortes pressions de l’UE, dénoncées par le Conseil des ministres ACP 7. L’UE avait menacé les ACP non-PMA de leur faire perdre le libre accès au marché européen et de leur appliquer le système généralisé de préférence. Ce système, accordé aux autres Pays en développement non PMA, est certes plus favorable que celui dont bénéficient les Pays développés.
Mais par rapport à l’APE, il rétablit le prélèvement de droits de douane sur leurs exportations vers l’UE. Suite au paraphe des APE intérimaires, l’UE a continué à accorder à la Côte d’Ivoire et au Ghana un libre accès au marché européen. En revanche, ces pays n’ont pas f inalisé la procédure permettant à ces APE intérimaires, conclus bilatéralement avec l’UE, d’entrer en vigueur. En effet, les négociations se poursuivaient en vue de parvenir à un accord régional avec l’ensemble de l’AO.
Dans ce cadre, l’UE aurait pu reprendre la proposition des ministres du commerce de l’Union africaine8 et considérer l’AO comme une région PMA. L’AO aurait ainsi bénéficié du régime « tout sauf les armes » sans avoir à conclure d’APE. L’UE a préféré fixer une nouvelle échéance pour la f in des négociations, en menaçant de retirer le libre accès au marché européen aux ACP non PMA qui n’auraient pas pris les mesures nécessaires à la mise en œuvre de l’APE avant le 1er octobre 2014.
L’APE entre l’Afrique de l’Ouest et l’UE : où en eston ?
Suite à cette menace, les hauts-fonctionnaires Ouest africains chargés des négociations ont fini par parapher un APE régional avec l’UE, le 30/06/20149.
L’APE est limité aux marchandises. Il inclut cependant une clause « de rendez-vous » pour les autres sujets, indiquant que « 6 mois après la conclusion10 du présent Accord, les Parties conviennent d’une feuille de route précisant le calendrier et les modalités » des « négociations en vue de parvenir à un accord régional complet » (article 106).
Selon l’UE, l’APE témoignerait des concessions qu’elle aurait faites à l’AO par rapport à ses positions initiales.
Il prévoit en effet l’élimination des droits de douane ouest africains figurant sur 75 % des lignes tarifaires11. Mais si on se base sur la valeur des marchandises européennes exportées correspondant à ces lignes, la libéralisation atteint 82 %12. La mise en œuvre de cette décision est prévue sur 20 ans, en 3 étapes. Cependant, l’essentiel de la libéralisation aura lieu en 15 ans, les 5 dernières années ne concernant qu’une poignée de produits. Bref, l’UE a obtenu ce qu’elle exigeait au départ.
Mais pour entrer en vigueur, le paraphe de l’APE ne suff it pas. Il doit encore être signé puis ratifié, généralement après un vote des parlements en AO et en Europe.
“ AVEC L’APE, L’AFRIQUE DE L’OUEST AURA MOINS DE MARGE DE MANŒUVRE POUR AMÉLIORER LES CONDITIONS DE VIE DE SA POPULATION
Suite à la prochaine parution
Konate
Sery
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Activiste
Panafricain
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