mardi 7 mars 2017

W.E.B. Du Bois, le père du panafricanisme

Qui fut cet activiste des droits civiques à classer parmi les Noirs les plus influents du 20e siècle ? Retour ici sur le parcours d’un mulâtre, militant de l’égalité raciale, qui a su porter un intérêt particulier aux Noirs colonisés d’Afrique. Mieux, qui a voué toute sa vie pour l’émancipation des Noirs aux Etats-Unis et dans le reste du monde.


C’est à Great Barrington, un village du Massachusets, Etat de l’est des Etats-Unis, que William Edward Burghardt Du Bois est né le 23 février 1868, cinq ans après l’émancipation des esclaves, dans une famille de la classe moyenne. En 1884, il est le premier enfant de sa couleur à terminer ses études au lycée de Great Barrington. Un an plus tard, il s’inscrit à l’université Fisk de Nashville, dans le Tennessee, réservée aux étudiants noirs. Face à la ségrégation raciale qui sévit dans ce Sud au passé esclavagiste très lourd, Du Bois adopte une attitude digne : au lieu d’appliquer la loi du talion, il préfère s’élever par le savoir afin de contribuer, plus tard, à l’émancipation totale de la communauté noire. Après sa licence, il va, en 1888, étudier la philosophie dans une université prestigieuse : Havard. Il se rend compte d’une chose : ne pas être Blanc à Havard n’est pas drôle. Entre l’arrogance et la soumission, Du Bois a choisi la foi en une culture noire. Il prépare une thèse sur « L’abolition du commerce africain des esclaves vers l’Amérique ». Sa maîtrise obtenue, le jeune homme se trouve, en 1892, à l’université de Berlin, en Allemagne. Une phrase prononcée par l’un de ses professeurs résonnera longtemps dans ses oreilles : « Les mulâtres sont des êtres inférieurs. Ils se sentent eux-mêmes inférieurs ». Revenu dans son pays en 1894, Du Bois est désormais le premier Noir détenteur d’un doctorat. De très loin le Noir le plus instruit des Etats-Unis, il commence une carrière d’enseignant dans diverses universités. Mais sur le plan des idées et du nationalisme noir, le terrain n’est pas vierge ; il est occupé par un homme d’une dimension exceptionnelle : Booker Taliaferro Washington.
Dans ce dix-neuvième siècle finissant, Booker T. Washington est le leader, le maître à penser de la communauté noire. Né esclave en 1856, moins instruit que Du Bois, Washington n’a pourtant rien d’un révolutionnaire pour expliquer son ascendant sur l’Amérique noire. Pour lui, point n’est besoin pour les Noirs de rechercher une quelconque égalité politique avec les Blancs. Ce qu’il faut aux Noirs c’est un métier, une qualification professionnelle, un développement des aptitudes dans le domaine du commerce, de l’agriculture, de la propriété. Tout le reste - formation intellectuelle poussée, combat pour les droits civiques - n’est qu’illusions. Booker T . Washington s’attire de cette façon les bonnes grâces de l’administration, qui finance ses projets et soutient son institut professionnel de Tuskegee, en Alabama. Aux yeux de beaucoup, l’Institut Tuskegee, en dépit du fait qu’il ne forme les Noirs qu’à des métiers manuels, devient un modèle. Washington suit de près les problèmes africains, en particulier les atrocités commises par les agents du roi Léopold II dans l’Etat indépendant du Congo (actuelle RDC). Cette question lui inspirera, en 1905, un article intitulé « Cruauté au Congo ». Réclamant des réformes dans le domaine privé du roi des Belges, il insiste sur le fait que les Américains noirs pourraient jouer un rôle constructif dans le développement de ce pays. Il fera ainsi partie de la Congo Reform Association. Le directeur de l’Institut Tuskegee voyage en Europe pour s’entretenir avec les gens intéressés par la situation de l’Afrique. La situation du Liberia conforte sa théorie, selon laquelle la puissance politique sans une solide base économique et un corps d’artisans qualifiés est préjudiciable au bien-être du groupe. En avril 1912, Booker T. Washington organise à Tuskegee une conférence sur l’Afrique et parle du rôle que pourraient, que devraient jouer les Américains en Afrique en qualité d’enseignants et d’experts en assistance technique. A partir de là, jusqu’à sa mort, en 1915, il tente de développer les affaires commerciales avec l’Afrique, par le biais de l’Africa Union Company.
Une encyclopédie africaine
Mais les intellectuels noirs, plus préoccupés par les droits civiques et une formation poussée que par l’artisanat et la soumission à l’ordre établi, le contestent. Principal opposant : Du Bois. Il reproche à Washington le peu d’importance qu’il attache au droit de vote, son aversion pour les universités noires, son attitude générale qui fait penser qu’il rend les Noirs responsables de leur condition. Jamais, auparavant, personne n’avait osé s’en prendre de la sorte à Washington. Cela coûte cher à Du Bois, professeur à l’université d’Atlanta : aux inimitiés s’ajoute le retrait de crédits pour ses recherches. Mais l’homme a déjà choisi sa voie, celle qui doit aboutir à la libération politique du Noir, où qu’il soit. C’est pourquoi, en 1900, il participe, à Londres, à la toute première conférence panafricaine organisée par l’avocat trinidadien Sylvester-Williams. Le secrétariat de cette conférence, à laquelle participent seulement trente personnes venues d’Angleterre, des Caraïbes et des Etats-Unis, est confié à Du Bois. La réunion de Londres a pour but de protester contre les agissements des colonisateurs sur le continent africain. Ce n’est pas encore le panafricanisme mais le concept est déjà dans les esprits.
Aux Etats-Unis, W.E.B. Du Bois est désormais le chef de file des antibookeristes. La nouvelle génération, à l’attitude plus radicale, le considère comme son porte-parole. Cela aboutit à l’éphémère Mouvement du Niagara, fondé en janvier 1906. Liberté d’expression et de critique, abolition de toutes les distinctions fondées sur la race et la couleur, tels sont, entre autres, les objectifs du mouvement. Mais les adversaires de Du Bois l’attaquent en l’accusant d’envier Washington et d’avoir honte de sa négritude. Quatre ans plus tard, il rejoint la National Association for the Advancement of Colored People [ Association pour le progrès des gens de couleur] (NAACP), où il est nommé directeur des publications et de la recherche. Il s’occupe ainsi de la revue The Crisis, l’organe de la NAACP. Son rôle pour la défense des Noirs devient important. Il a une autre préoccupation fondamentale : la tenue d’un congrès panafricain. Une idée difficile à réaliser. Après avoir vainement frappé à toutes les portes, la chancel lui sourit à Paris, où il rencontre Blaise Diagne, le député du Sénégal à l’Assemblée française. Avec le soutien de Gorges Clemenceau, président du Conseil et ami de Diagne, Du Bois organise le premier congrès panafricain à Paris, en février 1919, cela malgré les pressions exercées par le gouvernement américain. Le panafricanisme vient réellement de naître. Du Bois en est le père. Au prix de mille sacrifices, il parviendra à organiser le deuxième congrès panafricain à Londres, en 1921 ; le troisième à Londres, encore, et à Lisbonne, en 1923 ; le quatrième à New York en 1927. Faute de moyens, le père du panafricanisme est obligé de s’arrêter. Mais ses idées ont déjà séduit beaucoup d’intellectuels africains et antillais. En Angleterre, les Nkrumah, Padmore ou Kenyatta ne jurent que par le panafricanisme. Ils seront, en octobre 1945, à Manchester, les organisateurs du cinquième congrès panafricain, sans doute le plus important de tous. Du Bois est là, comme président d’honneur. Le panafricanisme vient de prendre un tournant décisif.
Au crépuscule de sa vie, Du Bois fera un « retour aux sources ». Il s’installa au Ghana en 1961, année où il adhère au Parti communiste. Devenu citoyen ghanéeen, W.E.B. Du Bois s’occupe de la rédaction d’une encyclopédie africaine. Il mourra à Accra en ... 1963, l’année de la création de l’OUA (Organisation de l’Unité Africaine), transformée en 2001en Union Africaine !
Konate 
Sery 
Borya 
Activiste panafricain 
Seryborya.79@gmail.com
Farafinadhe.blogspot.com

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