jeudi 16 février 2017

Diarassouba Karamoko : LES DÉFIS POLITIQUES DES RÉFORMES ÉCONOMIQUES AFRIQUE

 LES DÉFIS POLITIQUES DES RÉFORMES ÉCONOMIQUES


  •  Par un revirement progressif, à partir du début des années 80, un consensus de plus en plus large -ce qui n'exclut des îlots de résistance -s'est formé autour de l'idée selon laquelle l'excès d'administration pouvait constituer un frein au développement des économies africaines.


 Puis-samment porté par les institutions de Bretton-Woods, le thème du désengagement de l'État est au centre de la réflexion politique sur les perspectives du redressement des économies du con-tinent. Cette remise en cause du cadre idéologique originel et longtemps unanimement accepté, a été suivie par une série de réformes économiques et par des politiques de stabilisation finan-cière, de libéralisation et de désétatisation. La mise en œuvre de ces réformes radicales étant devenue la condition pour obtenir de la part des bailleurs de fonds les ressources financières nécessaires à la couverture des déficits budgé-taires, au paiement des importations et au rééchelonnement ou à l'annulation de la dette, l'adop-tion d'un programme d'ajustement est apparue pour beaucoup de régimes africains comme une exigence de survie.
Elles sont conduites par des gouvernements qui ne sont pas toujours convaincus de leur opportunité, mais qui sont le plus souvent contraints au « moins d'État» par l'échec constaté des expériences de l'économie administrée et, surtout, par la pression exercée par les sources extérieures de financement.
Pourtant, les prescriptions des programmes d'ajus-tement structurel (cf chapitre 2) se présentent, pour une large partie, comme autant de remises en cause des positions, des rentes et des privilèges établis. 1.3.1. Le paradoxe de l'ajustement La prise de conscience de l'ampleur de la crise économique et sociale par les élites africaines a été tardive, mais elle est aujourd'hui effective.
Elle prend chez certains intellectuels des allures d'autocritiques virulentes: L'Afrique malade d'elle-même (Tidiane Diakité, 1990), Et si l'Afrique refusait le développement? (Axelle Kabou, 1991), L'Afrique a-t-elle besoin d'un pro-gramme d'ajustement culturel? (D. Etouga-Manguelle, 1991) ... Les pratiques bureaucratiques sont dénoncées; la gabegie, le népotisme et les déficits financiers chroniques sont désormais la cible de la presse. On met en évidence l'incapacité fonctionnelle des hommes politiques comme des services administratifs, des entreprises d'État et de leurs agents. Le procès de l'administration est instruit sur la base d'illustrations: les hôpitaux manquent de médicaments et de personnel, les écoles publiques sont incapables de répondre à la demande des familles, l'électricité et l'eau sont fréquemment coupées, le ramassage des ordures n'est pas assuré, les transports publics sont défaillants, les routes ne sont pas entretenues ... De leur côté, les gouvernants africains ne sont pas restés inactifs. Leur conversion récente au « moins d'État» ne repose pas tant sur une adhésion aux thèses libérales que sur la nécessité de témoigner une bonne volonté vis-à-vis des institutions interuationales de financement qui détiennent sans partage la clé qui ouvre la porte aux crédits indispensables. J.-M. Fontaine s'interroge: «Il y a une ambiguïté concernant le statut de la victoire remporté par les idées libérales en matière de développement au cours de la décennie passée: on ne sait pas si elle aété acquise au tenne d'un combat mené de bout en bout, ou si elle a été obtenue par forfait, sur disqualification ou abandon de l'adversaire.28 » Pressé de mener lui-même son propre « désengagement» selon un échéancier peu flexible, l'État tente de ménager des transitions.
 Cette attitude est logique: restreindre son rôle écono-mique et supprimer les mécanismes de rente ne peut trouver spontanément une adhésion de la part des administrations publiques. La critique des dysfonctionnements de l'État est parfois un argument de circonstance dans une négociation, et certains gouvernants déclarent aujourd'hui vertueuse une doctrine qui, dans une certaine mesure, ne correspond qu'à une nécessité conjonc-turelle. De nombreuses réfonnes introduites au titre de l'ajustement ne seraient assurément pas possibles si les appareils d'État africains n'étaient pas traversés par le doute sur leur capacité à se maintenir au pouvoir sans avoir à opérer des changements profonds dans la manière de l'exer-cer.
Pourtant les programmes d'ajustement menés sous l'égide du FMI et de la Banque mondiale touchent au cœur les régimes en place. L'utilité technique des caisses de stabilisation, des caisses d'amortissement, des caisses de péréquation, des offices céréaliers, des organismes publics d'ex-portation est mise en cause et leurs outils de financement de la redistribution sont menacés par la globalisation des ressources dans les Tableaux des opérations financières de l'État (TOFE). La plus grande maîtrise des dépenses exigée au titre de la stabilisation financière interdit aux classes prédatrices de compenser leurs pertes de revenus par des prélèvements sur les marchés publics, le marché des devises et les opérations d'importation. En s'attaquant aux recettes de l'État, les PAS s'attaquent directement aux intérêts des plus puissants, contribuables prépondé-rants ou gros débiteurs de l'État et du système bancaire. Les créances fiscales et les créances bancaires compromises enregistrées à l'occasion des audits avant restructuration ou liquidation révèlent le mode et l'ampleur de l'enrichissement prédateur qui a prévalu pendant longtemps. La mise en évidence des détournements, des faillites et des fuites de capitaux fragilise aussi les régimes en leur contestant leur légitimité. L'ajustement touche donc la base sociale de l'État et met en cause certaines liaisons sociales fondamentales. En dénonçant le niveau excessif des avantages accordés aux fonctionnaires (salaires, primes diverses, subventions alimentaires, gratuité des soins ... ) et en obtenant la sup-pression du lien direct entre l'école et la fonction publique, les bailleurs de fonds déstabilisent indirectement mais fondamentalement l'État. 1.3.2. Éviter l'État ou institutionnaliser l'État? Comment empêcher que les pays africains ne suivent « la spirale descendante de la dégéné-rescence étatique» et du déclin économique? La question revient à se demander si les ajuste-ments douloureux assureront en Afrique les conditions d'un redressement et d'un processus de reconstruction de l'État ou entraîneront l'enlisement dans une sorte d'anarchie fonctionnelle. La réponse dépendra notamment de la capacité des sociétés à absorber les chocs de la transition économique et politique.
Le monde rural a longtemps servi d'amortisseur. Aujourd'hui, la crise écologique, la chute tendancielle des cours, l'accélération de l'urbanisation, la pression démo-graphique et l'endettement risquent de rendre moins efficaces les régulations sociales sur la même base que dans le passé.
Certains risques sont à craindre.
Le vide provoqué par le retrait de 1'État peut engager les zones rurales dans un repli autarcique, les communautés ne pouvant plus, faute d'encadrement, participer aux échanges marchands.
 En ville, 1'informalisation de nombreuses activités est déjà un processus ancien; divers indices laissent penser qu'elle prendra une ampleur grandissante avec la perte de nombreux emplois publics et salariés et 1'abandon d'activités productives natio-nales de moins en moins protégées ou soutenues par les commandes de un'État. L'idée s'est formée de s'appuyer sur 1'art de la débrouille dont font preuve certains groupes urbains en capacité auto-organisatrice. Nous verrons au chapitre 6 que le secteur informel ne manque pas de ressources créatrices.
 Le recours à 1'auto-organisation hors un'État peut-il consti-tuer une réponse d'avenir face à cette situation critique? Peut-on attendre l'essentiel des solu-tions de la multiplication des micro-initiatives, même judicieusement accompagnées aux plans technique et financier par des ONG ? Peut-on entrevoir les formes d'un autre développement, fondé sur les collectivités décentralisées, créant une dynamique organisationnelle capable d'im-poser un changement durable au niveau des structures politiques et économiques? Le dévelop-pement autogéré ne manque pas d'adeptes, ni parmi les théoriciens, ni parmi les organisations non gouvernementales qui n'ont jamais renoncé à faire prévaloir une position utopiste dans le débat sur l'avenir de 1'Afrique. Pour étayer leurs convictions et pour démontrer la faisabilité d'un nouveau modèle, ils s'appuient sur le dynamisme de certains mouvements d'auto-organisation.

 Certaines expériences sont assurément fort intéressantes et porteuses de solutions locales et ponctuelles, mais on peut se demander si elles seraient probantes sur une longue période et sur une échelle géographique élargie.
 Quoi qu'il en soit, si la tendance à l'informalisation se poursuivait sur une échelle plus vaste encore que celle actuellement enregistrée, 1'État africain déjà appelé à se réformer en profondeur se trouverait dans le même temps confronté à des contraintes explosives: une perte de res-sources résultant de la défiscalisation d'une série d'activités, une réduction probable des aides extérieures par la perte de crédibilité des autorités nationales incapables de maîtriser les proces-sus sociaux, et un accroissement de charges induit par une urbanisation irrésistible et non contrôlable.

Karamoko Diarassouba
Entrepreneur et juriste fiscale

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